jeudi 14 juin 2012

Jack Kerouac et le roi Salomon: ils ont livré leur corps à la boisson



Cassady grand copain et muse de Kerouac.
Sur la route, le film de Walter Salles qui s'inspire du récit que Jack Kerouac fit de ses traversées des États-Unis dans les années 50, m'a laissé en manque. Non pas d'alcool ou de drogue comme ses protagonistes qui pensent y trouver inspiration littéraire et liberté, mais de personnage principal. En effet, Kerouac (qui se nomme Sal Paradise dans le livre) est interprété par un Britannique ni viril ni passionné.

Les mêmes, dans le film.
Le manuscrit de Sur la route.
J'ai vu l'auteur (dans des courts métrages, à l'époque) lire quelques bonnes pages de On the Road, totalement habité par le rythme de son texte, avec son ton désabusé et alcoolisé: c'était hypnotique. Je croyais l'entendre en duo avec le roi Salomon (de L'Ecclésiaste): "J'ai décidé en moi-même de livrer mon corps à la boisson tout en menant mon coeur dans la sagesse, de m'attacher à la folie pour voir ce qu'il convient aux hommes de faire sous le ciel. [...] Alors je réfléchis à toute la peine que j'y avais prise; eh bien, tout est vanité et poursuite de vent..."

Dans le film où les corps à corps sont peu inspirés, c'est son comparse et sa muse Dean Moriarty (Neal Cassady dans leur vraie vie) qui fait tomber filles et garçons; l'acteur Garrett Hedlund séduit aussi les spectateurs. Je m'attendais à voir la bi- et l'homosexualité des personnages passées à la trappe. Or non: le réalisateur esquisse avec subtilité l'homosensualité -- pour le moins -- de Jack Kerouac et son mépris des pédés, la bisexualité de son compagnon de voyage Moriarty/Cassady et l'homosexualité du poète Allen Ginsberg.

Tim Leary, pape du LSD, et Cassady (1964).

Ginsberg le poète et son compagnon Peter Orlovsky.

Les mêmes, par R. Avedon.

Il paraît que Kerouac laissait Ginsberg le sucer lorsqu'il était déprimé. Mais tout son amour de mec à mec était dirigé vers Cassady avec lequel il a partagé plusieurs femmes. S'il vivait aujourd'hui, peut-être serait-il plus à l'aise dans ses incursions du côté des mâles.

Orlovsky, Kerouac, Ginsberg à Tanger, en visite chez Paul Bowles.
Mais l'Amérique des années 50 considérait les homos comme des malades mentaux. Elle était très répressive en matière de sexualité et de rébellion philosophico-politique. Les garçons rebelles et un peu voyous de la génération Beat étaient tolérés, mais pas les filles. Quant aux lesbiennes, elles se protégeaient en demeurant invisibles. Ce qu'on doit de plus remarquable à des gars comme Kerouac pour On the Road (1957) et Allen Ginsberg pour Howl (1956, un poème sans restrictions), c'est d'avoir sorti la littérature des salons et des universités pour la livrer en pâture dans les bars et la rue.

André

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour André,

Je n'ai pas vu le film ; mais, à mon grand étonnement, je me suis laissé emporté , il y a quelques années, par la lecture, dans le texte et en traductions françaises, de différentes oeuvres de Kerouac (à partir, d'une lecture, au hasard de "Satori à Paris" . Il faut noter que sa langue maternelle était la langue française canadienne, qu'il n'a parlé la langue américaine qu'à partir de 7 ans environ. Qu'il a perdu, enfant, un jeune frère qu'il adorait ( récit de cette mort dans "visions de Gérard") et n'a jamais fait le deuil de cette douleur. Idée confortée qu'à travers toutes ses aventures féminines, celle vers laquelle il ne cessait de retourner chercher refuge, jusqu'à, je crois, sa propre fin, fut sa mère.

Oui, c'est une oeuvre écrite tellement magnifique ( récits et poèmes-jazz, lectures superbes - qu'on trouve sur CD, sur des sites web bien connus - dans un rythme de bee bop en vogue en ces années là, "paradis" des années 1950) que j'hésite à aller voir le film.

Oui, cela fait partie de ces êtres somptueux (il entra à l'Université pour ses qualités en foot, je crois bien ou autre sport) et de par le corps et de par le génie, qui s'auto détruisent eux mêmes, à devenir une loque. Allez savoir pouquoi. Dans ce vingième siècle, je le mettrai en parallèle avec Chet Baker voire Glenn Gould...Dans la fin du vingtième, cette multitudes de "jeunes anges pleins de promesses", écrivains, poètes, danseurs, chorégraphes, peintres, tributs au Moloch SIDA

Dans la lignée des poètes maudits,grands mélancoliques - au sens très fort du terme- au 19 ème siècle...

Des phrases de "sur la route" dans la langue d'origine sont de très grands morceaux de la plus haute poésie. J'irai vous les chercher si cela vous dit.

Bien cordialement

frenchanonymous

Anonyme a dit…

P.S. : je pense qu'outre son génie, une des raisons de la qualité rythmique de ses textes est qu'il les "tapait" à tout vitesse, sous l'emprise de la "bendrézine", à la manière d'un pianiste jazz, virtuose, sur le clavier de sa machine à écrire, se berçant ou s'excitant lui-même, de l'écoute percussive des touches.

Dans la série des splendeurs auto destructrices rongées par l'impérieux besoin d'amour, allons voir, aussi, du côté de Billie Holiday.

bien cordialement

frenchetc...